L’hybridation au service des nouveaux systèmes de collaboration

Table ronde Trophées des Managers Valtus
06 Nov 2023

 

L’hybridation des talents internes et externes est l’une des clés de l’agilité des entreprises. Cette synergie leur permet de mieux appréhender leurs priorités stratégiques et opérationnelles. À Station F, lieu collaboratif par excellence, la table ronde inaugurale des Trophées des Managers Valtus 2023 réunissait trois personnalités autour de la question de l’hybridation du travail, des talents et des compétences. Jérôme Leparoux, Secrétaire Général et DRH du Groupe Daher, Gabrielle Halpern, philosophe et auteur qui travaille sur la question de l’hybridation depuis plus de dix ans et en a construit le concept philosophique, ainsi que ses implications dans différents domaines ; et Pierre-Nicolas Hurstel, Co-fondateur et PDG d’Arianee ont ainsi partagé des regards complémentaires lors de cet échange animé par Ingrid Labuzan, Journaliste La Tribune.

L’hybridation dans le travail : un « mariage improbable » ?

Au sein des organisations, l’hybridation prend des formes multiples. Pour la philosophe Gabrielle Halpern, l’hybridation consiste à « mettre ensemble des métiers, des compétences, des générations, des secteurs, des activités, des matériaux qui, a priori, n’ont pas grand-chose à voir ensemble, voire qui pourraient sembler contradictoires, mais qui, justement mises ensemble, vont permettre de créer quelque chose de nouveau. » Lorsque le « mariage improbable » est réussi, de nouveaux produits, services ou métiers peuvent alors voir le jour.

La montée en puissance de différentes formes d’hybridation « signe peut-être une grande tendance du monde qui vient » prédit Gabrielle Halpern. Les exemples de convergences fonctions/secteurs ne cessent de se multiplier : DAF et Directeurs RSE sont notamment amenés à repenser ensemble le rôle sociétal de l’entreprise.

 

Start-up digitale : une hybridation innée ?

En tant que CEO de la première plateforme de solution Web3 destinée aux marques, Pierre Nicolas Hurstel met l’accent sur l’alliance du digital et du physique. Apportant des services complètement digitaux à des marques qui fabriquent des objets de valeur durables, réparables, et revendables, Arianee associe des éléments numériques à des éléments physiques. S’ensuit inévitablement une accélération d’une forme d’innovation, là où on ne l’attendait pas nécessairement :

« Le digital va souvent toucher des espaces ou des secteurs qui ne sont pas digitalisés. Il en résulte une hybridation entre tradition et modernité. »

L’utilisateur est au cœur de la technologie open source développée par Arianee. L’entreprise s’appuie ainsi sur plusieurs modèles de gouvernance, liant entrepreneuriat et consortium à travers une association à laquelle participent les utilisateurs pour codéfinir le fonctionnement de la technologie. Parce qu’Arianee doit s’appuyer sur des compétences très pointues sur certains sujets, elle doit aller rechercher des talents hors des murs de l’entreprise puis définir des modalités permettant de bénéficier durablement de l’expertise, sans pour autant passer par un recrutement.

 

Grande entreprise industrielle : l’hybridation par croissance externe

Pour Jérôme Leparoux, « la croissance externe est porteuse de diversité, de complexité et donc d’hybridation. » À chaque opération de M&A, il faut « être capable d’intégrer des personnes qui arrivent avec leur savoir-faire, leurs valeurs, leur histoire, leur culture, leur identité. » Au fil des fusions-acquisitions menées dans le cadre de la croissance de Daher, il constate que la prise en compte de l’identité professionnelle et de l’identité des marques est primordiale : « il s’agit de reconnaître la valeur de ces identités et de s’appuyer dessus pour créer quelque chose de nouveau ». Plutôt que d’effacer l’identité de l’entité acquise, l’objectif est d’en co-construire une nouvelle, dans laquelle chacun pourra se retrouver.

Au sein d’une entreprise industrielle en croissance, la complexité se retrouve aussi dans le caractère hybride des statuts : CDI, CDD, intérimaires, consultants, experts, freelances, partenaires… Dans cette diversité, l’enjeu consiste à parvenir à créer un collectif avec le souci du juste équilibre, respectant les apports de chacun.

 

Redonner du sens à l’action collective

Selon Gabrielle Halpern, l’heure est à la remise en question de la division du travail, qui tend à devenir, paradoxalement, contre-productive : « ce que l’on gagne en productivité d’un côté, on le perd en sens de l’action collective, on le perd aussi en difficulté à se coordonner, à partager des informations, à collaborer, à s’hybrider » explique la philosophe.

En transposant ses compétences d’un métier, d’un univers professionnel, ou d’un secteur à un autre, chacun développe des compétences nouvelles tout en inventant d’autres manières d’exercer un métier.

« Les métiers de demain sont peut-être nos métiers d’aujourd’hui, mais complètement réinventés, redéfinis, plus hybridés, offrant plus de sens à l’action collective. »

Développer la transversalité

Pierre-Nicolas Hurstel note l’apparition de rôles entièrement transverses, comme le Chief of Staff, qui épaule, de manière opérationnelle, à la fois le CEO, le Codir et les membres du Comex. Par ailleurs, le fonctionnement en mode agile d’Arianee implique une collaboration, sans lien hiérarchique, entre ingénieurs, responsables du développement commercial et product designers.

Chez Daher, où évoluent plusieurs équipes multifonctionnelles, la lisibilité de l’organisation est clé. Des rôles transverses ainsi que des filières (management, experts scientifiques et technologiques, chefs de projet) sont ainsi clairement identifiés.

Hybridation ou fragmentation ?

La transversalité observée dans certaines start-ups se heurte souvent au « passage à l’échelle », regrette le DRH de Daher. Dans une grande entreprise industrielle, les processus, le respect de normes et de standards s’avère particulièrement important. La frontière entre hybridation et fragmentation est parfois mince et le risque de division du corps social élevé. « Au lieu de converger, on perd la cohésion et la cohérence », souligne Jérôme Leparoux.

 

Quel leadership à l’ère de l’hybridation ?

La crise sanitaire et l’hybridation de l’organisation du travail qui a suivi, les difficultés à recruter, la rotation dans les équipes et les attentes mouvantes des nouvelles générations concourent à complexifier le rôle du manager, rappelle également Jérôme Leparoux.

« Je mesure parfois le vertige des managers qui se rendent bien compte que l’injonction et la verticalité ne marche plus aujourd’hui. Il y a une attente de relations professionnelles plus équilibrées, plus contractualisées. »

Pour accompagner les managers, Daher a concentré ses efforts sur la création d’outils qui donnent un cap sans toutefois uniformiser. Par exemple :

  • Accélération des dispositifs d’écoute des salariés permettant à la fonction RH de trouver des clés à donner aux managers pour soutenir leurs équipes,
  • Cocréation d’un leadership modèle, propre à l’entreprise.

Estimant que la qualité du leadership est clé pour conserver les talents, Arianee accompagne, quant à elle, ses managers avec un programme dédié, axé sur le développement individuel et collectif. La start-up a également mis en place une charte du management, écrite par les leaders eux-mêmes.

Créer des « ponts entre les mondes », le nouveau rôle du manager ?

Pour Gabrielle Halpern, il revient aux leaders d’évaluer régulièrement la part d’incertitudes qu’ils sont disposés à accepter :

« L’altérité apporte une part d’imprévisibité. Si nous ne sommes pas capables d’accueillir l’imprévisibilité en interne dans une organisation, on ne saura pas faire face à l’imprévisible lorsqu’il arrivera de l’extérieur. »

Selon la philosophe, il est temps de redéfinir la raison d’être et de la mission du manager, dont le rôle consisterait à créer « des ponts entre les mondes » afin de permettre une « métamorphose réciproque ».

 

Savoir concilier l’inconciliable

L’esprit de transgression serait-il l’une des clés d’une hybridation réussie ? D’après Gabrielle Halpern, dans un monde où « les frontières même de l’entreprise sont remises en question » les organisations doivent pouvoir renverser l’ordre établi pour innover. Il peut notamment s’agir de passer de la concurrence à la mutualisation :

« Au pire moment de la crise énergétique, certain acteurs extrêmement concurrents dans un même quartier – par exemple des hôtels, des cantines et des restaurants – ont mutualisé leurs biodéchets pour faire de la méthanisation et créer de l’énergie. »

Pour Pierre-Nicolas Hurstel, la créativité et la possibilité d’allier ce que l’on tend à vouloir séparer doit s’inscrire dans la raison d’être de l’entreprise :

« Quand on veut qu’il y ait de l’hybridation, il faut que dans ce qui fait l’entreprise, dans ses valeurs, son ADN on inscrive par nature cette capacité à croiser ce qui peut être considéré comme inconciliable, comme des concurrents. »

L’ouverture internationale des entreprises, qui implique une intégration de points de vue et de référentiels différents voire opposés, créant de fait une opportunité d’innovation, constitue peut-être l’exercice ultime de l’hybridation.

 

À propos des intervenants

Gabrielle Halpern, philosophe et auteur de « Tous Centaures ! Éloge de l’hybridation » a consacré les 15 dernières années de ses travaux au sujet de l’hybridation. Elle a travaillé au sein de cabinets ministériels, codirigé un incubateur de start-ups et conseillé des entreprises et institutions publiques.

Pierre-Nicolas Hurstel a exercé pendant près de 10 ans aux États-Unis avant de cofonder Arianee, dont il est le CEO, en 2018. Forte de ses 40 collaborateurs, Arianee est la première plateforme de solutions Web3 dédiée aux marques haut de gamme.

Jérôme Leparoux est DRH et Secrétaire Général de l’avionneur et équipementier aéronautique Daher. Cette société familiale implantée dans 13 pays compte 12 100 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 1,7 milliards d’euros.

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