De l’invention à l’innovation : la recherche, levier de souveraineté économique de la France

Invention, innovation et recherche
13 Déc 2023

 

La bataille de l’innovation est plus que jamais indispensable pour faire face aux nombreux défis, numériques, énergétiques et écologiques, tout en œuvrant à la réindustrialisation de la France.

Le 23 novembre dernier, Yves Mégret, Partner Valtus, recevait Fabrice Lefebvre, Président Exécutif de la SATT Nord, pour un moment d’échange interactif sur les enjeux de la recherche publique en France.
Un webinaire qui explore les formidables opportunités qu’elle présente pour les entreprises ainsi que les défis liés à la souveraineté économique, à (re)découvrir en replay.

 

Les notions clés décryptées

Invention, innovation, valorisation

L’invention correspond à la création de solutions nouvelles pour répondre à des problèmes nouveaux. Pour réellement s’accomplir et devenir une innovation, elle doit trouver son marché afin de créer de la valeur.
La valorisation de la recherche implique de rendre utilisables ou commercialisables les connaissances et compétences qui en résultent.

Un produit ou service innovant partage donc 3 caractéristiques :

  • la nouveauté,
  • la création de valeur, qu’elle soit d’ordre économique, financière, stratégique…
  • l’appropriation de la nouveauté par ses destinataires.

Améliorer ou disrupter : deux typologies d’innovations

L’innovation incrémentale, qui s’apparente à une démarche d’amélioration continue où le risque d’innovation réelle demeure relativement limité, s’oppose à l’innovation de rupture.
Cette seconde forme d’innovation donne lieu à la création de nouvelles technologies qui « détruisent » (au sens de la « destruction créatrice » chère à Shumpeter) et remplacent progressivement voire brusquement les précédentes.
Une innovation de rupture technologique, trouve sa place sur le marché au terme d’un processus qui peut s’avérer long et très souvent capitalistique.

Pour passer de l’invention à l’innovation, l’enjeu consiste à trouver une application possible, autrement dit, à s’interroger sur la manière de répondre à un besoin existant plus ou moins formulé, et à venir et s’intégrer dans un business model.

 

Désindustrialisation : quel impact sur l’innovation en France ?

Aujourd’hui, le taux d’industrialisation de la France est de 10 %, contre 28 % en 1967. En Allemagne et en Italie, ce taux s’élève respectivement à 20 % et 15 %. Cette faible industrialisation découle de la politique mise en œuvre dans les années 1970-80, axée sur la volonté de faire de la France un pays de services. Ainsi, l’essentiel de la production a-t-il été externalisé vers les pays à bas salaires et seules les activités de conception et d’innovation ont été maintenues en France.

« Aujourd’hui, l’enjeu est de retourner vers un taux d’industrialisation croissant et de regagner ces points que nous avons perdu durant toutes ces années. »

La perte de lien direct avec l’industrie manufacturière a engendré une diminution des dépenses R&D dans l’industrie, ce qui se traduit par un pourcentage de R&D par rapport au PIB de seulement 2,2% en France. Dès lors, la capacité à transformer l’innovation en application industrielle s’est trouvée naturellement réduite.

Financer la réindustrialisation

Le plan d’investissement France 2030, prévoit 54 milliards d’euros pour rattraper le retard industriel français tout en investissant dans l’innovation et la décarbonation. Pour réussir France 2030, il est notamment indispensable de s’appuyer sur l’excellence de nos écosystèmes d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation.

France 2030 intègre un Plan Deep Tech visant à accroître l’émergence et la croissance de 500 startups Deep Tech par an. Ce plan se traduit notamment par la création de 27 Pôles Universitaires d’Innovation (PUI) et par l’accompagnement à la valorisation de projets issus de la recherche liés à 19 SNA (Stratégies Nationales d’Accélération).

 

Innovation made in France : état des lieux et obstacles

L’innovation est au cœur des préoccupations des entreprises, devenant d’ailleurs une priorité stratégique. D’après une étude réalisée auprès de 1 053 organisations dans 17 pays1, dont la France, 99 % des entreprises innovent et 97 % disposent d’un budget dédié (6 à 10 % du CA pour plus de la moitié des entreprises). L’innovation constitue d’ailleurs la deuxième priorité des organisations, juste derrière l’efficacité opérationnelle.

Au niveau mondial, la France se classe 11ème en matière d’innovation2. Des progrès restent à faire pour rattraper la longueur d’avance prise par certains pays européens. En matière de synergies et de collaborations entre recherche académique et entreprises, le déficit d’innovation se creuse : la France se situe seulement au 26ème rang mondial.

Des freins à l’innovation persistent

Certains facteurs peuvent expliquer l’absence de liens forts entre les entreprises françaises et la recherche publique :

  • L’intérêt des entreprises pour la recherche technologique reste relativement faible ;
  • La culture de l’innovation issue de la recherche publique est moins forte que chez nos voisins ;
  • Le paysage des acteurs de l’innovation s’avère peu lisible.

La valorisation de la recherche tend, quant à elle, à être freinée par la manière dont se construisent la carrière des chercheurs.
Leur progression est, en effet, davantage liée à leurs publications scientifiques qu’à la valorisation économique de leurs travaux de recherche. Par ailleurs, le développement de brevets reste encore assez peu valorisé et une hiérarchie entre recherche fondamentale et recherche tournée vers l’industrialisation perdure.

 

Créer des ponts entre le monde académique et le monde économique

Les Organismes de Transfert de Technologies (OTT), telles que les SATT (Sociétés d’Accélération du Transfert des Technologies), détectent les résultats de recherche valorisables et œuvrent ensuite pour transférer les innovations identifiées auprès d’entreprises susceptibles d’en avoir besoin, ou via la création de start-ups.

Créé en 2015, le réseau des 13 SATT, réparties sur l’ensemble du territoire français, a pour objectif de transformer le potentiel de la recherche publique française en innovations et en création de valeur pour les entreprises.

En chiffres

  • 18 500 projets innovants détectés
  • 3 900 brevets déposés
  • 1 301 licences signées
  • 790 start-ups deep tech créées
  • + de 63 % des transferts de technologies réalisées dans les régions respectives des SATT et 91 % de transferts de technologies issus de la recherche publique effectués sur le territoire national

Pour pouvoir protéger l’innovation française et garantir le maintien au niveau national des entreprises signataires d’une licence, il faudrait que « les fonds institutionnels prennent le relais du financement des pépites accompagnées par les SATT jusqu’à un certain stade, puis par les fonds d’amorçage » estime Fabrice Lefebvre.

 

Transfert de technologies : quelle méthodologie ?

Un projet de transfert de technologies mené par une SATT réunit 4 profils différents mais complémentaires :

  • un chef de projet,
  • un business developer,
  • un ingénieur PI (propriété intellectuelle),
  • un juriste.

Scouting technologique ou co-maturation

Le scouting est une méthode qui permet de proposer des réponses technologiques adaptées aux besoins exprimés par les entreprises. Après la phase d’écoute des besoins, il s’agit de proposer aux entreprises des briques technologiques ou des start-up deep tech susceptibles d’y répondre.

De nombreuses start-up deep tech se créent lorsqu’aucune entreprise ne manifeste d’intérêt pour l’acquisition d’une technologie. La SATT, parfois en collaboration avec un incubateur, se charge alors de trouver le CEO de la start-up, qui soit capable de définir un business model et de lever les fonds nécessaires, en veillant à créer une bonne entente avec le(s) chercheur(s) inventeur(s).

« L’enjeu consiste à faire en sorte qu’une relation de confiance s’établisse entre le chercheur et le CEO. Ce dernier va alors porter la technologie tout en s’appuyant sur le chercheur. »

Une fois la technologie développée et commercialisée, la start-up fait souvent l’objet, notamment dans le domaine de la santé, d’un rachat par une entreprise de plus grande envergure et disposant davantage de moyens pour la valoriser.

La co-maturation implique une SATT et une entreprise dans le co-développement d’une technologie, en mutualisant les moyens et en réduisant les risques pour chaque partie. Démonstrateur, prototype, préparation de l’industrialisation, voire d’un nouveau modèle économique… Cette collaboration permet de réunir les conditions d’une commercialisation réussie.

Les 8 étapes du transfert de technologies

  1. Sensibilisation des chercheurs à l’importance de la valorisation de la recherche
  2. Détection des pépites
  3. Maturation économique de l’invention, avec identification des marchés d’application
  4. Maturation technologique pour s’assurer que l’invention soit suffisamment développée pour intéresser une entreprise
  5. Maturation juridique pour les aspects contractuels et de liberté d’exploitation
  6. Maturation de la propriété intellectuelle afin de protéger l’invention et faciliter son acquisition par une entreprise
  7. Commercialisation de l’innovation par l’entreprise
  8. Impact économique, sociétal et environnemental de l’entreprise à travers l’innovation

« Pour assurer la souveraineté technologique grâce à la recherche publique, il s’agit avant tout de créer une génération de chercheurs entrepreneurs tout en levant les idées préconçues subsistant dans les entreprises », conclut Fabrice Lefebvre.

 

1 Baromètre international de l’innovation 2024, Ayming Institute
2 Global Innovation Index 2022

 

À propos de l’intervenant

Fabrice Lefebvre est, depuis 2018, Président Exécutif de la SATT Nord, dont l’activité principale est d’investir au stade précoce d’inventions issues des laboratoires de recherche publique des Hauts-de-France et de Champagne-Ardenne, puis d’assurer ensuite le transfert des technologies développées dans tous les domaines (santé, énergie, environnement, matériaux, numérique…), soit auprès d’entreprises de toutes tailles, soit via la création de start-up.

Depuis sa création, la SATT Nord a transféré plus de 50 technologies, dont la moitié auprès de start-ups.

Fabrice Lefebvre représente également à l’international le réseau des 13 SATT qui couvre plus de 80% de la recherche publique en France.

Avant cette mission, Fabrice Lefebvre a assuré des postes de direction opérationnelle, technique ou de l’innovation, au sein d’un grand groupe et d’une start-up, après une formation de docteur-ingénieur en sciences et de gestion d’entreprises.

 

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