7 QUESTIONS À LIONEL DINTRAS, DIRECTEUR INDUSTRIEL

13 Déc 2022

« On peut se donner à fond parce que l’on sait que cela va s’arrêter dans six mois ou un an et qu’on ne va pas rentrer dans une routine. » En l’espace de cinq ans, Lionel Dintras a effectué cinq missions en tant que Directeur industriel de transition. Un management moins vertical, plus participatif donc, constitue pour lui un excellent levier d’innovation. Ce qu’il apprécie dans le management de transition, c’est la possibilité de faire son métier en bénéficiant toujours d’une forte stimulation intellectuelle et de faire de nouvelles découvertes.

Être Directeur industriel dans un contexte aussi volatil qu’aujourd’hui, c’est un défi stimulant ?

Cela fait déjà quelques années que l’environnement est de plus en plus volatil, même si le phénomène s’est accéléré avec le Covid. Cela complique le travail mais d’une certaine manière, le rend aussi plus intéressant. En 2022, lors d’une mission en qualité de Directeur industriel, les difficultés se concentraient autour des problématiques d’approvisionnements en matières et de fidélisation des salariés. Ces éléments ne sont pas nouveaux, ils deviennent simplement plus importants. Avec la baisse du chômage, les entreprises doivent (ré)apprendre à retenir les collaborateurs. La manière d’appréhender la gestion des ressources humaines doit varier selon l’état du marché du travail.

La complexité est qu’il y a dans un même temps des hausses de prix liées aux matières et aux fournisseurs qu’il faut répercuter aux clients avec aussi le besoin d’augmenter les salaires.

Cette année les demandes de hausse de salaire se sont multipliées. Ces demandes étaient motivées par la forte inflation. La complexité est qu’il y a dans un même temps des hausses de prix liées aux matières et aux fournisseurs qu’il faut répercuter aux clients avec aussi le besoin d’augmenter les salaires. De nombreux clients, d’ailleurs exposés aux mêmes problématiques, refusent ces hausses de tarifs.

Pour résumer, depuis le Covid, la volatilité s’est accentuée de manière tout à fait inimaginable. C’est du jamais vu !

Dans l’industrie, quels leviers de sobriété énergétique vous semblent les plus efficaces ?

Avec des factures d’électricité qui ont plus que doublées, il faut désormais être tellement sobre que je ne vois plus très bien quels leviers actionner. Tout dépend des processus et des industries. Il est évidemment possible, si l’entreprise dispose de la trésorerie nécessaire, d’investir dans des équipements moins énergivores. Reste le b.a.-ba que toutes les entreprises ont déjà mis en place ou s’apprêtent à le faire :

  • passer en éclairage Led,
  • prévoir une extinction automatique des lumières.

Par ailleurs, il est possible de miser sur la récupération d’eau de pluie, même si cette eau ne pourra pas nécessairement être utilisée dans les processus industriels.

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Les exigences des clients évoluent. Lesquelles obligent le plus un Directeur industriel à repenser ses process ?

J’ai souvent vu des supply chain mal pensées, dépassées, ce qui résulte en une incapacité à servir son client au mieux, avec beaucoup de stock pour un taux de service médiocre. Ce problème est assez répandu. D’une manière générale, les entreprises ont souvent du mal à bien comprendre les enjeux de supply chain.

À mon sens, il s’agit davantage de revoir les processus supply chain que ceux liés à la production. Néanmoins, les processus de production doivent parfois évoluer, justement pour donner du sens à la supply chain, en raccourcissant le temps de cycle de façon à servir le client mieux ou aussi bien avec moins de stock.

Depuis la mise en place des systèmes de MRP dans les années 70-80, d’autres outils se développent. Le DDMRP (Demand Driven Material Requirements Planning), que je n’ai pas encore eu la chance de voir fonctionner mais auquel j’ai été formé se répand de plus en plus. C’est un système qui permet de moins subir les variations de la demande dans la supply chain et donc le fameux « effet coup de fouet ».

> Et si vous deveniez Directeur Supply Chain avec Valtus ?

Vous misez sur le management participatif. D’expérience, quels sont ses principaux bienfaits ?

Vous ne trouverez jamais un manager qui vous dira que le management participatif n’est pas pour lui. Et pourtant, de mon point de vue, la dimension participative est souvent insuffisante. On reste très souvent dans du management vertical. Le management participatif, basé sur la confiance et le respect des idées, permet à chacun de donner le maximum de sa valeur. Toutefois, on a encore souvent du mal à accepter que les idées puissent venir du terrain.

Nous avons besoin d’idées pour progresser, surtout dans un monde volatil dans lequel on est très souvent confronté à des problèmes que l’on n’avait pas rencontrés avant.

J’ai effectué une grande partie de ma carrière dans des entreprises américaines dans lesquelles j’ai apprécié l’approche participative. Le dirigeant recherchera l’avis des salariés avant de prendre sa décision parce que les bonnes idées peuvent venir de tout le monde. Le rôle du dirigeant y est davantage de créer les conditions d’émergence et d’exécution des idées plutôt que de prendre les décisions seul. Nous avons besoin d’idées pour progresser, surtout dans un monde volatil dans lequel on est très souvent confronté à des problèmes que l’on n’avait pas rencontrés avant.

Les salariés ont souvent plus de valeur à apporter que ce qu’ils apportent réellement.

D’une certaine façon, l’agilité c’est savoir repartir de zéro. Autrement dit, face à un problème, ne pas uniquement l’examiner en fonction de ses expériences passées mais être aussi capable de se réinventer. Il s’agit de se baser sur son expérience pour imaginer de nouvelles solutions. Le management participatif, grâce à la discussion, la réflexion collective et l’itération, permet cette innovation.

Les salariés ont souvent plus de valeur à apporter que ce qu’ils apportent réellement. Il faut libérer les énergies et donc faire en sorte que les gens soient en confiance dans leur environnement de travail.

Comment voyez-vous se transformer le management dans l’industrie ?

J’ai eu la chance de vivre une expérience forte dans une entreprise avec un comité de direction qui fonctionnait extrêmement bien. Nous avons relevé des défis formidables. Cette réussite était liée au style de management, déjà en place avant mon arrivée. En tant que Directeur industriel, c’est ce climat que j’essaie de créer mais cela prend beaucoup de temps et dépend de l’histoire du site et de l’équipe de management.

Lors d’une mission, j’ai pu constater que certains jeunes managers (qui ne faisaient pas partie du Codir) avaient un mode de fonctionnement assez différent de ce que j’avais l’habitude de voir ailleurs. Ils travaillaient ensemble, dans une relation apaisée, tout en ayant beaucoup d’ambition. C’était très agréable et cela a permis à l’entreprise de se redresser plus rapidement.

Vous réalisez des missions de management de transition depuis 5 ans. Diriez-vous que ce choix a fait évoluer le sens que vous donnez à votre carrière ?

Le management de transition ne change pas le sens que je donne à mon métier de Directeur industriel. Mon métier consiste à créer de la valeur, trouver des solutions à des problèmes et innover, le tout dans de bonnes conditions, avec des équipes performantes. Sur les 5 missions réalisées, 4 étaient liées à un problème de performance du site. À chaque fois, les raisons du dysfonctionnement qui m’ont été données au préalable se sont révélées incorrectes ou largement partielles. Ce qui s’avère alors intéressant, c’est de trouver les causes, les comprendre et ensuite les expliquer pour les résoudre ensemble.

Intellectuellement, c’est hyper stimulant. Vous êtes fatigué le soir mais le travail est très riche. On peut se donner à fond parce que l’on sait que cela va s’arrêter dans 6 mois ou un an et qu’on ne va pas rentrer dans une routine. Si demain j’optais pour un CDI qui me plaît, le sens serait toujours le même pour moi. Ce sont les conditions qui changeraient.

> Vous aussi, accompagnez les entreprises en tant que Directeur industriel

Quel est le moment le plus mémorable que vous ayez vécu lors de vos missions en tant que Directeur industriel de transition ?

Je parlerai plutôt de satisfactions. Très souvent, je suis amené à faire des communications à l’ensemble du personnel. Après avoir trouvé des solutions à la problématique, il faut les expliquer à tous. En général, ce type de communication est assez nouveau pour les équipes et j’ai souvent des retours positifs.

Vous montrez aux gens qu’il y a du positif, vous leur montrez sur quoi capitaliser pour s’améliorer et même s’ils sont embêtés par le fait de procéder au changement, au moins ils comprennent les enjeux.

Lors d’une mission avec Valtus dans le nord de la France, l’une des salariées était venue me voir en me disant « C’était super ! On ne nous avait jamais parlé comme ça ». Vous montrez aux gens qu’il y a du positif, vous leur montrez sur quoi capitaliser pour s’améliorer et même s’ils sont embêtés par le fait de procéder au changement, au moins ils comprennent les enjeux. Ce sont donc des satisfactions partagées.

Au cours d’une autre mission, la production d’un produit important de l’entreprise était en danger. Le risque : perdre rapidement de grosses parts de marché. Nous avons mis en place des équipes de week-end, ce qui n’avait jamais été fait. Les élus étaient opposés à l’idée et trouvaient que j’allais trop vite mais ils ne m’ont pas bloqué. Ils m’ont même aidé et ça a marché.

Cela est devenu un élément positif pour l’entreprise qui découvrait qu’il était possible d’implémenter ce type d’organisation. Si elle souhaitait ensuite arrêter les équipes de week-end pendant deux ans, il serait possible de facilement les remettre en place. Vous avez appris à nager, vous n’allez pas vous baigner pendant trois ans mais vous savez que si vous tombez à l’eau vous pourrez vous débrouiller. Il s’agit d’une forme de compétence à l’échelle de l’entreprise : connaître les procédures pour mettre en place une équipe de week-end, connaître le temps nécessaire, savoir qui est volontaire, qui ne l’est pas, avoir connaissance de la rétribution à donner aux personnes travaillant le week-end. C’est une satisfaction d’achever une mission en ayant pu concrétiser ce type de projet.

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