FEMMES DIRIGEANTES : VERS UNE SORTIE DE L’OMBRE ?

14 Déc 2022

Les femmes représentent 19,5 % des comités exécutifs des entreprises du CAC 401. Malgré cette féminisation très timide, une page se tourne, progressivement. Vouées à gagner en visibilité, les femmes dirigeantes d’aujourd’hui ont le pouvoir d’accélérer la féminisation des instances de gouvernance des entreprises. Chacune à leur manière.

Féminisation des instances dirigeantes : les quotas, une réponse imparfaite

Le Parlement européen vient d’adopter la directive « Women on Boards » imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administrations. Un an plus tôt, en France, la loi « Rixain »  (après la loi « Copé-Zimmermann » de 2011) fixait un objectif similaire : 40 % de femmes parmi les cadres dirigeants d’ici 2029 (30 % pour 2027). Avec 45 % de sièges d’administrateurs occupés par des femmes en 20212, la mise en place de quotas porte ses fruits. Du moins, d’un point de vue purement statistique.

Mais les quotas ne séduisent pas. Les femmes dirigeantes sont nombreuses à pointer les limites d’une obligation qui s’avère parfois perçue, par les entreprises, comme une simple mesure contraignante de plus. D’après l’ouvrage Valtus Le Leader Authentique, la notion de quota tendrait même à être décriée :

« Il faut dire que ce concept commence à irriter les dirigeantes elles-mêmes. Véronique Pican (Equativ [ex-Smart AdServer France]) n’est pas dupe quand elle est invitée à siéger dans des organisations professionnelles : « Je sais bien, explique-t-elle, que je suis dans le quota des femmes. » Elle préférerait que ses pairs la reconnaissent d’abord, voire exclusivement, pour sa compétence. »

Les questions liées au genre gênent, car les dirigeantes aspirent avant tout à mettre en avant leur apport à l’entreprise. Interrogée sur le management au féminin lors d’une table ronde dédiée au lancement du second livre Valtus, Cathy Collart Geiger, CEO de Picard Surgelés, répond : « Je pense que c’est ce qu’on apporte en tant que personne qui est important ». Pour Brigitte Albrand, DAF de transition, le quota ne peut constituer l’unique solution : « Si c’est pour choisir des femmes simplement pour une question de quotas, je ne suis pas sûre que cela serve la cause ». Le souhait latent : que l’égalité hommes-femmes ne soit tout simplement plus un sujet.

« Quand je serai grande, je serai directrice générale ».

Dans son livre intitulé Patronnes paru en octobre dernier aux éditions Albin Michel, Élodie Andriot réalise 52 entretiens avec les « numéros unes ». Elle constate que bon nombre de ces femmes dirigeantes « semblent se comporter comme la patronne avant de devenir la patronne ». Mais l’ascension demeure sinueuse : l’accès aux instances dirigeantes rime souvent avec escalade de la falaise de verre.

« Le redressement d’une entreprise en difficulté ? La gestion d’un projet aux conditions extrêmes ? Pour pouvoir accélérer leur carrière, les patronnes ont souvent accepté des fonctions sur lesquels leurs collègues masculins ne voulaient pas se casser les dents ».

Alors l’envie de gravir la falaise doit être forte. Il faut souvent accepter, comme le dit Cathy Collart Geiger, de faire des « zigzags », contrairement aux collègues masculins qui eux « montent tout droit » :

J’ai toujours eu ce rêve. En fait, quand j’étais chef de rayon, je me suis dit que quand je serai grande, je serai directrice d’hypermarché. Et quand j’étais directrice d’hypermarché, je me suis dit que quand je serai grande, je serai directrice générale. Cela a nécessité un certain nombre d’années et a pris des chemins que je n’imaginais même pas mais j’ai toujours cru en ce rêve-là et finalement, j’y suis arrivée ».

Brigitte Albrand estime que certaines femmes ne ressentent tout simplement pas l’envie de « jouer le jeu qui permet d’arriver aux différents étages de la fusée ». Pour autant, son « driver » n’était pas tant de faire partie d’un Comex, mais plutôt « d’avoir des projets », de « construire ». Elle constate également que « d’une manière générale, les femmes sont plus sur des sujets d’intérêt général et de jeu collectif que sur une ambition personnelle ».

Progression du nombre de femmes dirigeantes de transition

Et si le management de transition contribuait à accélérer la féminisation des Comex ? D’après le Baromètre France Transition 2022, 28 % des managers de transition sont des femmes. Un chiffre en progression de 5 points par rapport à l’année précédente.

Chez Valtus, avec 30 % de missions désormais réalisées par des femmes âgées de 54 ans en moyenne, cette tendance se confirme encore plus nettement. Sur certains socles de métiers, les femmes dirigeantes de transition sont particulièrement présentes. En effet, au cours des 18 derniers mois, plus de la moitié des femmes ayant effectué une mission avec Valtus intervenaient sur un périmètre de direction des Ressources Humaines, financière ou juridique. Mais la féminisation gagne même les secteurs et fonctions du comité de direction où les femmes sont fréquemment sous-représentées (DSI, Direction des Opérations, Direction R&D…). Dans l’industrie, les femmes mènent aujourd’hui 27 % des missions Valtus, soit une hausse de 17 % en l’espace de 4 ans !

Plus qu’une nouvelle opportunité de carrière, le management de transition constitue une occasion de diriger autrement. Libérées du jeu politique qui accompagne les postes C-Level, certaines femmes voient dans le management de transition la possibilité de valoriser avant tout leur expertise. Brigitte Albrand note d’ailleurs qu’il est plus facile d’asseoir sa crédibilité dans le cadre d’une mission :

« Les missions de transition sont limitées dans la durée et ont un certain coût. Donc il y a une ouverture d’esprit et une attention à ce qui va être dit par le ou la manager de transition qui est peut-être supérieur ».

Se concentrer sur ses objectifs et contribuer à faire progresser l’entreprise sans la contrainte de devoir tenir compte d’enjeux de carrière… Une manière d’appréhender le travail qui pourrait séduire un nombre croissant de femmes dirigeantes, aspirant à davantage de liberté et moins de « politique ».  Pour Leïla Mechaï, DRH de transition, difficile d’envisager un retour au CDI. Désormais, son mode d’excellence est « celui de l’intensité sur des moments plus courts ».

Développer la visibilité des femmes dirigeantes, une clé pour en finir avec le plafond de verre ?

« Être une femme cheffe d’entreprise reste, aujourd’hui en France, d’un exotisme absolu » estime l’auteure de Patronnes. Et pour cause, la féminisation se fait attendre : à ce jour, seules trois entreprises du CAC 40 sont dirigées par une femme. « La bataille se joue sur la représentation », poursuit Élodie Andriot, qui à travers son livre, souhaite « montrer ces patronnes qui sont invisibles ». Pour permettre aux femmes de se projeter et « ouvrir le champ de possibles », il faudrait d’abord inspirer. En « l’absence d’un role model ayant déjà débroussaillé la voie », difficile d’oser crever le plafond de verre. Les dirigeantes d’aujourd’hui et de demain ont encore un grand rôle à jouer pour promouvoir la féminisation auprès des principales intéressées :

« Décomplexée, la dirigeante l’est aussi vis-à-vis de sa fonction, féminisant son titre et acceptant de se mettre en avant pour montrer l’exemple à toutes les autres ».

Trophées des Femmes de l’Industrie, Grands Prix des Talents Féminins… Les événements visant à mettre les femmes en lumière se multiplient. Si Élodie Andriot regrette que les patronnes exposées « semblent parfois réduites au rôle d’incarnante dans l’imaginaire collectif et le traitement médiatique dont elles font l’objet », l’événementiel permet de rappeler régulièrement l’importance des enjeux de parité en entreprise. Jusqu’au jour où ces événements spécifiques n’auront plus de raison d’être, car la diversité de genre ira de soi.

À découvrir

BOOST-her, le podacast dédié aux dirigeantes

De la parité à la diversité

D’après l’édition 2022 de l’Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises, les organisations dont l’encadrement est le plus féminisé ont une rentabilité bien supérieure à celles qui intègrent encore difficilement les femmes. La qualité de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise s’avère également meilleure à mesure que le Comex se féminise. À l’heure où les enjeux de performance et de RSE deviennent incontournables, mixité et diversité constituent de véritables opportunités pour les entreprises. « Car l’enjeu du patronat de demain, c’est bien évidemment de représenter la société dans son ensemble », rappelle Élodie Andriot.

1 Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises

2 touteleurope.eu

NEWSLETTER