6 QUESTIONS À GILLES CHEVÈNEMENT, DG DE TRANSITION

Gilles Chevènement
11 Jan 2023

En tant qu’ancien joueur professionnel puis entraîneur de hockey sur glace, Gilles Chevènement compare souvent l’entreprise à une équipe sportive. DG de transition depuis plus de 10 ans, il estime que son métier consiste avant tout à « réunir une équipe autour d’un projet commun, dans lequel chacun a un rôle ». Parce qu’il aime pouvoir intervenir uniquement tant qu’il existe d’importants défis à relever, Gilles n’envisage pas de travailler autrement qu’en « mode mission ». À la clé, des aventures humaines et l’opportunité de bâtir des équipes solides, animées par l’envie de « jouer le match ». « Lorsque vous expliquez et donnez du sens, lorsque vous traitez les hommes et les femmes de la même façon, vous avez toutes les chances d’avoir les équipes que vous souhaitez. »

Vous vous définissez comme un « expert en management de développement solidaire et humain ». S’agit-il en quelque sorte d’un management « RSE-friendly » ?

C’est un management qui est issu d’expériences passées. J’ai fait beaucoup de sport d’équipe, et sa particularité, c’est le regroupement dans le cadre d’un projet commun. Ce projet comporte des paramètres que l’on retrouve à la fois dans le sport, dans les activités collectives et dans l’entreprise. Souvent, ces paramètres sont oubliés dans l’entreprise.

Poursuivons sur l’exemple du sport d’équipe ou de l’orchestre. En début de saison, voire avant, on définit un objectif commun. Dans les entreprises, cet objectif commun correspond à la stratégie. Ensuite, chacun est informé et une organisation se met en place pour permettre l’atteinte de l’objectif commun. Pour atteindre cet objectif commun, chacun joue un rôle. Je suis le gardien. Je suis le violoniste. Je suis le directeur financier. Je suis le buteur. Je suis le jeune joueur qui va grandir aux côtés de mes pairs… Lorsque l’on pratique un sport ou lorsque l’on fait partie d’un orchestre, on est évalué, jaugé et formé par rapport à son rôle. Quand on parle du rôle de la personne, on ne risque pas de blesser la personne, son ego est mieux préservé.

Pour moi, le management de développement solidaire et humain consiste à réunir une équipe autour d’un projet commun, dans lequel chacun a un rôle.

Ensuite vient le management du groupe. Une fois que le qui fait quoi est déterminé, on s’entraîne ensemble. Il y a un travail d’entraide, de motivation, de challenge, de joutes etc. Il s’agit de vivre une aventure commune. Imaginez une équipe de sport collectif qui vise le podium. Dès le premier match, tous les joueurs sont très motivés pour gagner. Le score est tendu. L’un des joueurs dit « non, mais ce n’est pas grave, on est juste là pour la 3ème mi-temps ! ». L’équipe peut ne pas finir le match ensemble parce qu’en fait, l’objectif n’est pas commun.

Tous les rôles sont importants : il n’y a pas de petits rôles, il n’y a que des rôles qui sont bien interprétés ou mal interprétés.

Pour moi, le management de développement solidaire et humain consiste à réunir une équipe autour d’un projet commun, dans lequel chacun a un rôle. Chaque collaborateur est informé de la stratégie de l’entreprise et du rôle qu’il va jouer. Tous les rôles sont importants : il n’y a pas de petits rôles, il n’y a que des rôles qui sont bien interprétés ou mal interprétés.

Si je suis très heureux de faire du management de transition, c’est parce qu’à chaque fois je vis une aventure humaine. Si chacun remplit son rôle correctement, on passe un bon moment ensemble.

Dans le cadre de vos missions de DG de transition, vous assurez régulièrement le coaching de nouveaux dirigeants. Comment appréhendez-vous ce rôle ?

L’avantage du management de transition, c’est que je ne suis jamais dans la politique. En débutant une mission, je sais que je suis là pour une mission donnée, même si elle peut durer plus longtemps que prévu, en raison de besoins nouveaux par exemple. Je ne suis donc pas là pour jalouser le poste de quelqu’un. Ma mission est de donner.

La personne que je coach comprend très bien que lorsque nous échangeons, mon objectif est uniquement de l’aider. Parce qu’il n’y a pas de concurrence le coaching est facilité. J’ai également une liberté de parole qui est totale. Évidemment, un coaching est réussi lorsque la personne coachée et le coach jouent le jeu.

D’entrée, il faut bien clarifier son rôle de coach : il s’agit d’accompagner le dirigeant dans son management mais les éventuelles difficultés d’ordre plus personnelles ne pourront être traitées.

Quels sont vos conseils pour fédérer l’ensemble des collaborateurs autour d’un nouveau projet d’entreprise ?

Il y a une première phase, qui dure 2 à 3 semaines. Quand j’arrive dans une entreprise, il y a un certain nombre de personnes que je rencontre. Je procède toujours de la même façon. La rencontre dure entre une heure et une heure et demie. Je commence par expliquer ma mission, l’objectif étant de clarifier tout de suite ma position. Ensuite je propose à la personne qu’on se présente mutuellement.

J’arrive, donc je suis une éponge.

Deux fois sur trois, c’est la personne que je rencontre qui prend la parole en premier. Une fois que je me suis à mon tour présenté, la question que je pose toujours est : « comment puis-je vous aider ? ». Généralement, mon interlocuteur est surpris et a un mouvement de recul. Puis la personne s’avance et me délivre des choses profondes qu’elle souhaite voir évoluer dans l’entreprise. Cette première approche d’échange neutre se fait sans jugement. Je ne connais pas l’entreprise. J’arrive, donc je suis une éponge.

Un projet d’entreprise, ça se bâtit en groupe. Et si chacun retrouve un petit morceau de son projet dans la stratégie, il va la mettre en œuvre.

Une fois que j’ai entendu l’ensemble des personnes, que j’ai regardé le marché, analysé la situation et confronté les différents avis, je passe à la phase du projet d’entreprise. La majorité des salariés veulent que leur boîte fonctionne et ont des idées qui sont pertinentes. À moi de m’assurer que ces idées ont du sens dans l’entreprise et de m’interroger sur le timing. Un projet d’entreprise, ça se bâtit en groupe. Et si chacun retrouve un petit morceau de son projet dans la stratégie, il va la mettre en œuvre. Dans les entreprises jusqu’à 80 % des PowerPoint réalisés pour modifier la stratégie finissent dans un tiroir. En fait, le vrai sujet est comment mettre en place la stratégie ? De quelle manière l’organisation sert cette stratégie ? Comment l’équipe sert l’organisation et sa stratégie ? Donc si chacun retrouve l’une de ses idées, chacun est responsable d’une partie de la stratégie.

Dans une organisation, il y a toujours un tiers des équipes qui veut aller de l’avant. Un tiers n’a pas d’avis et regarde le train passer. Enfin, un tiers estime que cela ne marchera jamais, notamment parce que le dirigeant de transition vient d’un domaine différent. En arrivant, je travaille toujours avec ceux qui ont envie, parce que ces personnes auront des idées et vont jouer le jeu. En équipe, nous parvenons à mettre en place des choses très réussies. Ceux qui n’avaient pas d’avis observent et finissent par avoir envie de suivre ce qui fonctionne. Mais ce n’est pas moi qui leur montre comment travailler. Ce sont leurs collègues qui expliquent comment ils sont parvenus à réussir cette nouvelle organisation. Généralement, le tiers restant finit par rejoindre le mouvement. On perd toujours quelques personnes mais cela reste le plus souvent limité. Certaines salariés ne s’inscrivent tout simplement pas dans la dynamique de l’entreprise. Ils auront toutefois eu la possibilité d’adhérer à la stratégie.

Vous avez déjà 10 ans d’expérience du management de transition. Diriez-vous que ce mode de travail est fait pour vous ?

Oui, parce que j’ai besoin de cette stimulation intellectuelle et de challenges. En CDI, je m’ennuierais. Tant qu’il y a des sujets profonds, je suis heureux. Si après cela devient du ronronnement, de la routine, je m’ennuie et je le dis.

L’une de mes missions avec Valtus a duré un an. Au bout de deux mois, j’ai expliqué aux dirigeants ce que j’allais mettre en place et leur ai rappelé que dans dix mois, je ne serai plus là. Pour que le projet perdure dans l’entreprise, je les ai invités à désigner une personne que je pourrai former et accompagner afin qu’elle reprenne le flambeau.

J’adore les missions avec Valtus parce que nous travaillons en transparenceJ’ai rencontré quatre associés et à chaque fois, la mission m’était décrite clairement. Je sais combien gagne Valtus et combien je vais gagner. C’est facile, car le deal est clair dès le départ.

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Les missions sont souvent intenses et rythmées. En tant que DG de transition, quel moment n’êtes-vous pas prêt d’oublier ?

Ce qui me vient à l’esprit spontanément, c’est une mission au sein d’une entreprise de 500 salariés, en cessation de paiement. Globalement, tout le monde estimait qu’il fallait licencier massivement. En travaillant avec les équipes et en embauchant les personnes compétentes, nous avons sauvé 460 des 500 emplois. Nous aurions pu en sauver 480 mais 20 ont souhaité partir. Ce que je retiens, c’est le remerciement des personnes qui ont participé au redressement de l’entreprise et cet attachement qui existe entre les uns et les autres.

J’ai effectué une autre mission dans l’univers de la course au large qui me correspondait bien. Des idées, des techniciens, des jeunes, l’entraînement, le brief puis le débrief… Pour moi qui ai fait beaucoup de sport, ce mode de travail en équipe était très appréciable.

Selon vous, quels défis majeurs attendent les DG en 2023 ?

Nous avons vécu 30 à 40 années très calmes. Il n’y avait pas d’inflation ni de guerre proche de chez nous. En somme, c’était « facile ». À présent, il y a des zones d’incertitude. Il faut avant tout ne pas s’éparpiller et rester en ligne avec sa stratégie ou l’adapter si on est touché par l’inflation ou la guerre. Il s’agit donc de ne pas être obtus, sans pour autant tout changer. Il est très important de garder la tête froide.

De mon côté, je ne rencontre pas de difficultés pour recruter. Je dirige actuellement une société qui crée des roses et fait de la production de rosiers. À mon sens, il faut proposer les salaires du marché. Si une personne gagne le salaire minimum et que ce salaire correspond au marché, alors il y a de fortes chances que son salaire n’évolue pas en changeant d’entreprise. La différence, c’est vous ; c’est le manager.

Si vous nouez une relation constructive et positive avec les salariés, ils travailleront pour vous. Lorsque vous expliquez et donnez du sens, lorsque vous traitez les hommes et les femmes de la même façon, vous avez toutes les chances d’avoir les équipes que vous souhaitez.

Un salarié travaille si on lui donne envie. Cela remet donc la responsabilité sur le manager.

Lorsque je donne des cours de management, je conclus toujours en rappelant qu’un salarié travaille pour 50 % de son salaire. Les 50 % restants, c’est s’il en a envie. La question que doit se poser le manager c’est : est-ce que je donne envie aux salariés d’aller plus loin ? Si vous avez une équipe de dix personnes et qu’ils n’ont pas envie de faire ce que vous leur dites, ils sont plus forts que vous. Un salarié travaille si on lui donne envie. Cela remet donc la responsabilité sur le manager.

Je me souviens d’une mission en tant que Directeur Général de transition au sein d’une entreprise de textile qui perdait beaucoup d’argent. J’ai réuni tous les responsables de boutiques et leur ai clairement exposé la situation. Le siège demandait la mise en place de 4 nouvelles vitrines tous les 15 jours. Certaines boutiques n’avaient aucune vitrine ou ne disposaient pas de la marchandise nécessaire pour faire la vitrine. J’ai demandé la mise en place d’une première vitrine, en résonnance avec la stratégie de l’entreprise et commune à toutes les boutiques en France en en Europe. Par ailleurs, j’ai invité les responsables de boutiques à mettre en place les autres vitrines en fonction de leurs idées et en accord avec leur Directeur régional. Si le résultat s’avérait positif, charge à lui d’envoyer des photos à l’ensemble du réseau, indiquant par exemple le chiffre d’affaires supplémentaire généré.

En partageant les bonnes pratiques, l’entreprise est passée de -25% à -6 %. En fait, reconnaître les compétences des équipes et les inciter à partager de bonnes pratiques a des effets positifs. Tout repose parfois sur la façon de demander les choses, de rendre l’action accessible.

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