Pression sur les économies exportatrices : perspectives régionales

Article économies exportatrices_ Valtus
13 Juin 2025

Les économies tournées vers l’exportation sont confrontées à des pressions croissantes, alors que les politiques protectionnistes, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et l’évolution rapide des dynamiques du marché redéfinissent les règles du commerce mondial. Nous examinons dans cet article la manière dont l’Italie, l’Allemagne, le Canada et les pays nordiques répondent à ces défis au sein de leurs secteurs clés. Qu’il s’agisse de l’industrie manufacturière, du luxe, de la logistique ou de l’énergie, chaque région fait preuve d’une résilience renforcée et d’une capacité d’innovation accrue, accélérant les transformations nécessaires pour s’adapter à un environnement exportateur toujours plus complexe.

Italie : pressions divergentes dans des secteurs clés
Allemagne : enjeux structurels profonds dans l’automobile et la mécanique
Pays nordiques : de puissantes nations commerçantes, sensibles aux perturbations commerciales
Canada : des défis majeurs aux frontières

Italie : pressions divergentes dans des secteurs clés

L’économie italienne axée sur l’exportation subit des pressions contrastées selon les secteurs, avec une résilience notable dans le luxe, tandis que le secteur manufacturier traverse des difficultés importantes, souligne Roberto La Caria, Managing Partner chez STM.

 

Résilience du secteur du luxe

Le marché du luxe demeure relativement stable malgré les tensions internationales. Des marques prestigieuses telles que Ferrari continuent de prospérer : « Avant la suspension temporaire des tarifs américains, Ferrari a augmenté ses prix de 10 à 15 % sur le marché américain, sans impact significatif sur les ventes à l’export », précise La Caria.

Certaines maisons emblématiques du luxe italien, comme Armani et Prada, enregistrent cependant une baisse de la demande en Chine ainsi que des effets des sanctions sur le marché russe. Néanmoins, de nombreuses grandes marques italiennes de luxe appartiennent désormais à des groupes étrangers, principalement français. La chaîne d’approvisionnement du secteur reste solide, car la production est largement ancrée en Italie.

« La chaîne d’approvisionnement du luxe italien est quasiment 100 % locale. »

 

Industrie alimentaire : perturbation temporaire

Les exportations italiennes de produits alimentaires haut de gamme, tels que le Prosecco et le Parmesan, ont connu une interruption temporaire suite à l’annonce des tarifs américains, entraînant une suspension des commandes et des livraisons pendant 3 à 5 semaines. Depuis, le marché s’est progressivement rétabli.
Compte tenu des prix en rayon aux États-Unis, qui sont de 5 à 10 fois supérieurs aux prix italiens, Roberto La Caria estime que « les marges sont suffisantes pour absorber les hausses de tarifs ».

Par ailleurs, la majorité de l’industrie alimentaire italienne, notamment dans la production laitière, est déjà sous contrôle étranger, principalement français, avec environ 70 % des parts détenues par des entreprises françaises.

 

Crise de l’industrie manufacturière

Le secteur mécanique italien est le plus affecté, en grande partie à cause de sa forte dépendance à l’industrie automobile allemande, qui traverse elle-même de lourdes difficultés — Volkswagen ayant notamment enregistré une chute de 43 % au premier trimestre 2025.

« Le Nord-Est de l’Italie est reconnu comme l’un des pôles d’excellence européens pour les composants mécaniques, dont 60 à 70 % de la production est liée à l’industrie automobile. La majorité de cette production était historiquement destinée aux constructeurs allemands. »

Parallèlement, la fabrication d’électroménager en Italie est en recul, les propriétaires internationaux conservant les marques italiennes tout en délocalisant la production vers l’Europe de l’Est et la Turquie. De plus, les importations de véhicules chinois connaissent une explosion spectaculaire : des marques comme BYD vendent désormais plus en Italie que Tesla ou même les constructeurs allemands.

« Il y a 20 ans, l’Italie était le deuxième producteur automobile en Europe. Aujourd’hui, elle est le premier marché européen pour les importations de véhicules chinois… C’est un changement radical. »

Allemagne : enjeux structurels profonds dans l’automobile et la mécanique

Les tensions commerciales mondiales croissantes – notamment avec les États-Unis -, conjuguées à un affaiblissement de la demande internationale, exercent une pression considérable sur les secteurs automobile et de la machinerie en Allemagne.

La menace d’une hausse significative des tarifs américains sur les importations automobiles européennes, alors que 13 % des exportations allemandes étaient destinées aux États-Unis en 2024, a eu un impact immédiat sur l’économie exportatrice du pays. Par ailleurs, les exportations de machines ont reculé de 5 %, en raison d’une demande mondiale atone et de défis structurels persistants, souligne Markus Nakanishi, Partner chez Valtus en Allemagne.

 

Stratégies d’adaptation des entreprises

Pour maintenir leur compétitivité dans un contexte contraignant, les entreprises allemandes adoptent plusieurs stratégies :

  • Relocalisation de la production vers des pays d’Europe de l’Est à coûts moindres, notamment la Pologne, afin de réduire les dépenses liées à l’énergie et à la main-d’œuvre.
  • Expansion vers les marchés d’Afrique du Nord, comme la Tunisie et le Maroc, où les coûts salariaux restent moins élevés.
  • Déplacement des nouveaux investissements hors d’Allemagne, privilégiant ainsi les implantations internationales plutôt que l’extension des capacités nationales.
  • Réduction des capacités de production et des effectifs en Allemagne, en réponse à la surcapacité industrielle et aux coûts salariaux élevés.

« Même avant les récents conflits commerciaux, les entreprises, en particulier les fournisseurs du secteur automobile, avaient déjà amorcé un processus de relocalisation et de légère contraction de leur production en Allemagne.

Pour exploiter pleinement le potentiel d’exportation à long terme, il convient de saisir les opportunités offertes par le renforcement des relations commerciales avec des marchés porteurs, comme la Turquie, l’adoption de technologies durables, ainsi que la modernisation des processus industriels.

« Certains fournisseurs automobiles, très performants et fortement automatisés, sont prêts à accélérer leur développement. Le nouveau gouvernement allemand envisage de lancer des programmes pour stimuler les ventes de véhicules électriques. Plusieurs acteurs attendent ces mesures incitatives et sont prêts à intensifier leur production. »

Pays nordiques : de puissantes nations commerçantes, sensibles aux perturbations commerciales

Composée du Danemark, de la Norvège, de la Suède et de la Finlande, la région nordique, malgré une population modeste d’environ 27 millions d’habitants, doit relever des défis logistiques uniques liés à son vaste territoire et à la forte concentration de sa population.

Les pays nordiques reposent fortement sur des infrastructures logistiques solides et des chaînes d’approvisionnement efficaces pour garantir la fluidité des échanges, tant à l’intérieur de la région qu’à l’international. « Les échanges commerciaux entre ces pays sont très intenses, portés par un secteur e-commerce particulièrement développé, mais aussi par les flux vers et depuis la région nordique », souligne Henrik Höjsgaard, Partner & Managing Partner chez Nordic Interim.

 

Secteurs d’export clés : des piliers de l’économie mondiale

La Norvège occupe une position dominante sur le marché mondial du saumon, assurant à elle seule près de 25 % de la consommation mondiale. En Suède, l’industrie automobile reste un pilier essentiel de l’économie exportatrice. Plus largement, les pays nordiques excellent dans la production de pièces mécaniques, de composants industriels, de technologies éoliennes ainsi que d’équipements offshore indispensables au secteur pétrolier et gazier.

Compte tenu de volumes d’exportation particulièrement élevés, la région s’appuie sur une expertise supply chain S&OP avancée afin de maintenir sa compétitivité à l’échelle mondiale. L’ancrage historique dans le commerce international a également favorisé le développement d’un savoir-faire logistique et d’une maîtrise remarquable des chaînes d’approvisionnement.

« Dans les pays nordiques, nous nous concentrons actuellement sur le suivi constant des évolutions dans les secteurs de la logistique et de la chaîne d’approvisionnement, non seulement à l’échelle locale, mais aussi à travers l’Europe et le monde. »

Si les effets à long terme des tensions commerciales actuelles demeurent incertains, des perturbations prolongées – au-delà de 12 mois – pourraient entraîner des réorganisations structurelles durables dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. À l’inverse, des interruptions de plus courte durée ne provoqueraient sans doute que des ajustements temporaires.

« Les événements majeurs tels que le 11 septembre, la crise financière, la pandémie ou encore les tensions géopolitiques actuelles illustrent une constante : les entreprises doivent sans cesse ajuster leurs stratégies pour faire face à de nouveaux équilibres concurrentiels », conclut Höjsgaard.

Canada : des défis majeurs aux frontières

Les principaux secteurs exportateurs du Canada font actuellement face à de fortes pressions. Les droits de douane imposés par les États-Unis mettent à mal des relations commerciales historiques, contraignant les entreprises canadiennes à revoir leurs stratégies. « Ces tensions obligent les entreprises à gagner en efficacité, en productivité et à adopter une approche plus offensive », souligne Benoit Creneau, President & CEO de xNorth basé à Toronto.

 

Perturbations dans la chaîne d’approvisionnement automobile

Le nouveau tarif américain sur les véhicules et pièces fabriqués au Canada bouleverse la chaîne d’approvisionnement automobile nord-américaine, traditionnellement très intégrée — les composants traversant souvent la frontière entre six et huit fois avant l’assemblage final.

Les fabricants canadiens de pièces automobiles, qui approvisionnent à la fois les usines canadiennes et américaines, commencent à ressentir les effets de cette mesure. Plusieurs signalent déjà un ralentissement des commandes.

« L’inquiétude grandit quant à un possible désengagement des constructeurs américains au Canada, certains envisageant de réduire leur production locale au profit d’installations aux États-Unis. General Motors, par exemple, vient d’annoncer la suppression de l’équipe de nuit de son usine d’Oshawa. »

 

Tensions croissantes dans les secteurs de l’énergie et des métaux

Dans le secteur du pétrole et du gaz, la province de l’Alberta fournit environ 25 % de la demande américaine, ce qui place les tarifs douaniers au cœur de tensions bilatérales importantes. Le gouvernement d’Alberta a déjà averti que ces mesures pourraient faire augmenter les prix de l’essence aux États-Unis et perturber les flux énergétiques transfrontaliers.

Par ailleurs, l’acier et l’aluminium subissent également des pressions. En mars 2025, les exportations d’acier ont chuté, tandis que celles d’aluminium ont augmenté, probablement en raison de stocks constitués par les acheteurs américains avant une nouvelle vague de hausses tarifaires. L’ensemble de ces tensions impactent profondément des secteurs fortement dépendants du marché américain. De nombreuses autres industries canadiennes exportatrices vers les États-Unis subissent également les répercussions de cette situation.

 

Maintenir la compétitivité

En réponse, les entreprises canadiennes prennent des mesures décisives pour préserver leur compétitivité.

« La relation de longue date avec les États-Unis ne sera sans doute plus jamais la même, et l’économie canadienne doit impérativement réduire sa forte dépendance envers ce marché. De nombreuses entreprises diversifient désormais leurs activités en se tournant de plus en plus vers l’Europe et l’Asie. »

Le Canada bénéficie d’une position unique au sein du G7, étant le seul pays à disposer d’accords de libre-échange avec tous les autres membres. Cet avantage facilite le renforcement des liens avec des partenaires clés, comme la France, et ouvre la voie à une expansion vers de nouveaux marchés.

Le gouvernement fédéral soutient les entreprises en mobilisant plus de 6,5 milliards de dollars canadiens pour aider les exportateurs à compenser leurs pertes, faciliter l’accès à de nouveaux marchés et protéger les emplois. Cette initiative intervient alors que le pays enregistre son plus haut niveau de défaillances d’entreprises depuis quinze ans.

Au sein des entreprises, on observe un vif regain d’intérêt pour l’innovation, la transformation digitale et l’optimisation des coûts. Les organisations canadiennes font preuve d’une grande agilité et d’une réelle volonté de repenser leurs méthodes traditionnelles — un tournant prometteur après des années de stabilité relative.

Les tensions commerciales actuelles transforment les enjeux liés aux chaînes d’approvisionnement : autrefois considérés comme purement opérationnels, ils sont désormais au cœur des préoccupations stratégiques des entreprises. Cette évolution accroît la demande pour des cadres dirigeants dotés d’une solide expérience internationale. Contrairement aux crises passées, telles que le conflit Ukraine-Russie qui a suscité des relocalisations rapides, le contexte commercial complexe d’aujourd’hui requiert des dirigeants véritablement « citoyens du monde », dotés d’une expérience multi-continentale.

Dans ce contexte, le management de transition s’impose comme une solution flexible et efficace pour accompagner les transformations. Des CEO de transition peuvent piloter les restructurations opérationnelles et orienter les entreprises vers de nouveaux marchés, tandis que des Directeurs Supply Chain repensent les stratégies d’approvisionnement et les CFO assurent la stabilité financière nécessaire à une expansion régionale.

Ce modèle de leadership agile représente un levier stratégique essentiel pour garantir la résilience et la performance durable des entreprises dans un monde marqué par une instabilité croissante.

NEWSLETTER