
La question de la parité dans les plus hautes sphères des entreprises européennes s’impose comme un enjeu majeur de gouvernance, de performance et d’équité. Les chiffres montrent une progression incontestable de la présence des femmes aux postes de direction, mais la parité reste encore hors de portée. Les lois nationales et directives européennes accélèrent cette dynamique, tout en révélant les limites des seules approches légales. Derrière les pourcentages se dessinent des disparités fortes entre pays, secteurs et niveaux hiérarchiques.
1. État des lieux en Europe
En 2023, près de 3,7 millions de femmes occupaient un poste de management dans l’Union européenne, soit 34,8 % des managers, alors qu’elles représentent presque la moitié des personnes en emploi (46,4 %)1. La tendance est néanmoins positive : entre 2014 et 2023, la part des femmes managers a progressé de manière continue, gagnant près de 3 points en moins de dix ans¹.
Les écarts entre pays sont marqués : la Suède (43,7 %), la Lettonie (42,9 %) et la Pologne (42,3 %) figurent en tête, tandis que le Luxembourg (22,2 %), la Croatie (23,8 %) et la Tchéquie (27,4 %) affichent les plus faibles niveaux de féminisation¹.
À l’échelle internationale, seuls 24,9 % des postes de direction dans les 500 plus grandes entreprises mondiales sont occupés par des femmes². Cette proportion chute drastiquement dans les rôles les plus stratégiques : seulement 9,3 % des présidences et vice-présidences de conseils².
2. Dynamiques et évolutions récentes
Depuis 2014, l’Union européenne enregistre une croissance continue du nombre de femmes managers¹. Mais cette tendance masque des dynamiques contrastées : Chypre (+10,5 points), Malte (+8,3 points) et la Suède (+6,5 points) progressent rapidement, tandis que la Hongrie et la Slovénie reculent (-2,6 points chacune)¹.
L’analyse générationnelle montre une évolution positive. Parmi les dirigeants nés dans les années 1990, 34,5 % sont des femmes, contre 21,6 % pour ceux nés dans les années 1950². La génération la plus récente reste toutefois en deçà des 40 % de seuil de féminisation des conseils d’administration fixé par la directive européenne².
Les différences sectorielles sont également fortes. La santé compte près de 30 % de femmes dans les directions, contre seulement 18,5 % dans l’énergie². Ces contrastes sont confirmés par les données européennes : la santé, l’éducation et les services sont plus inclusifs, tandis que la tech, l’industrie lourde et l’énergie demeurent très masculins⁵.
3. Freins persistants en Europe et au-delà
La progression de la féminisation dans les postes C-level ne doit pas masquer les obstacles.
Le premier frein est le « plafond de verre ». Le différentiel se creuse dès le début des carrières : pour 100 hommes promus managers, seules 87 femmes le sont, et 73 pour les femmes issues de minorités³. Cette rupture initiale compromet ensuite l’accès aux plus hauts niveaux.
Un deuxième plafond se dresse au niveau des C-level. Si la représentation féminine augmente dans les conseils, elle s’effondre dans les postes exécutifs. Seuls 9 % des CEO sont des femmes⁴, et les chiffres sont similaires pour les présidences ou directions générales².
À ces barrières s’ajoutent des obstacles culturels : biais de recrutement, manque de soutien actif dans la progression de carrière, difficultés de conciliation entre vie professionnelle et personnelle⁵. Le ralentissement de carrière lié à la maternité accentue encore les écarts².
4. Leviers et initiatives pour accélérer
Le cadre légal constitue un levier puissant. La directive européenne de 2022 impose aux entreprises cotées d’atteindre d’ici 2026 au moins 40 % de femmes parmi les administrateurs non exécutifs, ou 33 % de l’ensemble des administrateurs². En France, la loi Rixain fixe un objectif de 40 % de femmes dans les instances dirigeantes d’ici 2030⁵.
Les entreprises déploient également leurs propres initiatives. La flexibilité du travail et les dispositifs de parentalité apparaissent décisifs pour retenir les talents féminins³. Les programmes de mentorat et de soutien sont considérés comme essentiels pour accélérer les carrières⁵. Les organisations qui se fixent des objectifs chiffrés et publient des indicateurs de suivi progressent plus rapidement⁴.
Au-delà des obligations, la mixité est un facteur de performance. Les entreprises inclusives innovent davantage, disposent d’une gouvernance plus robuste et jouissent d’une meilleure réputation auprès des investisseurs et des talents4 ; 5.
5. Les femmes, managers de transition aux postes c-level
Le management de transition, fonction en pleine structuration, reste marqué par une sous-représentation féminine en Europe. Selon l’étude INIMA, la moyenne européenne ne dépasse pas 16 % de femmes managers de transition en 2024, avec de fortes disparités : 27 % en France contre seulement 11 % en Allemagne⁶. La France se distingue donc nettement, mais la dynamique récente montre une stabilisation : d’après le Baromètre France Transition S1 2025, les femmes représentent 29 % des managers de transition, un niveau quasi inchangé depuis 2023 après une progression régulière depuis 2014 (14 %)⁷.
La répartition des missions illustre une segmentation persistante. Alors que les femmes sont sur-représentées dans les missions de Ressources humaines, leur présence chute en Direction Générale et Direction Industrielle. De manière générale, les missions de gestion de crise tendent à être moins souvent confiées à des dirigeantes de transition.
Pour favoriser la montée en puissance progressive des femmes, certaines entreprises de management de transition, telles que Valtus, multiplient les initiatives pour mettre en lumière les talents féminins, notamment dans les secteurs où elles sont sous-représentées. Leur présence contribue en effet à redéfinir les pratiques et les représentations, non pas comme un simple tremplin vers des postes permanents, mais comme une voie légitime et durable d’accès aux responsabilités stratégiques en Europe.
5. Perspectives
Les progrès sont réels, mais insuffisants pour espérer une parité rapide. À l’échelle européenne, l’atteinte de l’équilibre dans les C-level nécessitera encore une décennie au rythme actuel². L’effet générationnel contribuera à réduire l’écart, mais ne suffira pas à lui seul. À l’échelle mondiale, les projections sont encore plus lentes : au rythme actuel, il faudrait plus d’une décennie pour atteindre les objectifs fixés, et certaines régions comme l’Asie ou le Moyen-Orient restent très en retrait, avec moins de 15 % de femmes dans les comités exécutifs².
L’avenir dépendra de trois leviers complémentaires : la mise en œuvre rigoureuse des cadres légaux, l’engagement des dirigeants à incarner le changement, et la transformation culturelle des organisations.
L’Europe progresse vers la féminisation des postes de direction, mais la parité reste un objectif lointain. Les femmes s’imposent dans le management intermédiaire et les conseils, mais restent largement minoritaires aux postes de décision les plus stratégiques. Les pays moteurs démontrent que la régulation peut accélérer la dynamique, mais qu’elle doit être renforcée par des politiques d’entreprise ambitieuses et une évolution des mentalités.
Pour les dirigeants, le défi est clair : dépasser la contrainte légale et faire de la mixité un véritable projet stratégique, au service de la performance, de la résilience et de l’attractivité de leurs organisations.
Sources
[1] EU Labour Force Survey (2023), Eurostat ; Mars 2025
[2] The long road to gender parity in senior leadership positions (2023), OCDE
[3] Women in the Workplace 2024, McKinsey & Lean In
[4] Women in Business Report 2024, Grant Thornton
[5] Baromètre IFA – Ethics & Boards de la mixité des instances dirigeantes 2025
[6] INIMA Europe 2025
[7] France Transition – Baromètres 2014–2025